
L’importance d’étudier le système endocannabinoïde (cannabinoïdes)
Article de Softsecrets
Giovanni Marsicano vit et travaille à Bordeaux, où il est directeur adjoint du Neurocentre Magendie, centre dédié aux neurosciences où il s’occupe des cannabinoïdes, des endocannabinoïdes et surtout du récepteur CB1, qu’il étudie depuis 1997.
SSFR: Comment définiriez-vous le système endocannabinoïde et pourquoi est-il important de l’étudier?
Le système endocannabinoïde est présent dans tout le corps et en ce qui concerne le cerveau, c’est le système de modulation le plus important. Je pars du postulat qu’on ne sait encore presque rien sur le fonctionnement de notre cerveau, mais on a compris une chose et c’est que le principe fondamental de son fonctionnement réside dans le freinage et l’accélération, donc dans l’excitation et l’inhibition. Cet équilibre entre le plus et le moins est ce qui nous permet de tout faire. En fait, nous avons deux systèmes majeurs, le premier celui du glutamate, qui s’occupe de l’excitation et le second, le gaba, qui s’occupe de l’inhibition. Cela dit, le système endocannabinoïde se charge de moduler, disant aux neurones qui s’excitent de ne pas être trop excités et à ceux qui s’inhibent de ne pas être trop inhibés. Lorsqu’un excès survient, le système endocannabinoïde se charge de l’équilibrer.
SSFR: Comment un composé cannabinoïde est-il étudié ?
Dans les années 1960, avant la découverte du récepteur CB1, la soi- disant tétrade des effets cannabinoïdes était utilisée pour comprendre si un composé était réellement un cannabinoïde. Il a été établi qu’en injectant un composé à une souris, lorsque ce composé provoque la catalepsie, l’analgésie, diminue la température et diminue la locomotion alors il s’agit d’un cannabinoïde. Ensuite, lorsque le récepteur a été découvert, il a été constaté que ces quatre effets sont en fait médiés par le récepteur CB1. Certains de ces effets représentent des exemples d’effets positifs et certains des effets négatifs typiques: l’analgésie est l’une des raisons pour lesquelles le cannabis médical est considéré comme très prometteur mais, en même temps, la catalepsie est au contraire un effet négatif étant, par exemple, une des raisons de certains accidents de voiture: les réflexes sont là, mais les mouvements volontaires sont ralentis.
SSFR: Donc sur quel type de recherche vous êtes-vous concentré?
Nous avons récemment découvert que le récepteur CB1 régule également l’activité des organites au sein des cellules, les mitochondries, qui sont les plantes énergétiques de la cellule et qui brûlent de l’oxygène et
des nutriments pour produire des molécules qui seront utilisées par les cellules. Dans le cerveau, la régulation de cette activité énergétique devient un moyen fondamental de réguler les fonctions. Nous nous sommes ensuite concentrés sur les effets analgésiques
et cataleptiques des cannabinoïdes et nous avons constaté qu’ils se produisent dans la même zone du cerveau. La chose intéressante, cependant, est que CB1 est un récepteur et donc, traditionnellement, se trouve sur les membranes des cellules. Dans ce
cas particulier nous avons toutefois découvert qu’une sous-population de CB1 se trouve également à l’intérieur des cellules et exactement sur la mitochondrie. Nous avons réalisé que la catalepsie dépend du récepteur de la mitochondrie et que l’analgésie dépend plutôt du récepteur de la membrane. On pourrait donc imaginer de fabriquer des médicaments comme le THC, mais avec une modification qui ne leur permet pas d’entrer dans la cellule. Ce faisant, ils n’activeraient que le CB1 qui se trouve sur la membrane, induisant l’effet analgésique sans l’effet catalepsie.
SSFR: En 2004, vous avez découvert une molécule qui protégerait le cerveau de l’intoxication au cannabis. De quoi s’agit-il?
Mon collègue Pier Vincenzo Piazza, à l’époque Directeur de cet Institut, s’était rendu compte que certaines molécules appelées neurostéroïdes, hormones produites dans le cerveau, étaient importantes pour la toxicomanie. Alors on a pris un groupe de rats et on leur a injecté à chacun toutes les drogues, cocaïne, héroïne, amphétamines, cannabis etc. etc. Lorsque nous avons ensuite mesuré les neurostéroïdes, nous avons constaté que toutes les drogues affectaient légèrement le niveau de ces neurostéroïdes de 10 %, 50 % 100 %, mais que le THC les faisait augmenter de 4 000 %. Notre hypothèse de départ était donc que ces néoristéroïdes participaient aux fonctions du THC, dans le cadre de la chaîne de cause à effet, provoquée par l’administration d’un cannabinoïde. Les résultats n’ont cependant pas concordé jusqu’au jour où l’on s’est demandé : « Et si les neurostéroïdes voulaient ralentir l’action du THC ? » Données en main et suite à des expériences précises, nous avons compris que c’était bien le cas. On a compris que ce neurostéroïde spécifique, que l’on appelle la prégnénolone, est un formidable inhibiteur naturel du récepteur CB1. La production de prégnénolone intervient lorsque le CB1 est activé en excès. Or, le prégnénolone n’inhibe que certains des effets du CB1 qui sont, par coïncidence, les plus nocifs de l’intoxication au THC. Je fais référence à la catalepsie notammment, mais surtout la prégnénolone est capable d’inhiber l’auto-administration compulsive de cannabinoïdes et donc le développement de l’addiction.
